Même si, vu de l’extérieur, on peut penser que la position de « chef d’entreprise » est confortable, il n’en reste pas moins que les chiffres parlent d’eux-mêmes : 94 % des dirigeants souffrent d’insomnie, 68% se disent fatigués, 50% souffrent de stress élevé, et, chiffre affolant, il y aurait un suicide de dirigeant d’entreprise en moyenne tous les 2 jours en France.
Le stress peut être défini comme un déséquilibre entre les contraintes et les ressources ( quand on me demande plus que je ne peux donner). La situation de chef d’entreprise a ceci de particulier qu’on rencontre souvent plus de ressources que la moyenne des salariés mais aussi plus de contraintes.
Du côté « ressources » (ou facteurs protecteurs) on va trouver :
– un métier passion : la majorité des dirigeants des PME sont des passionnés et ont choisi de créer leur entreprise
– une autonomie forte, qui permet (mais pas toujours) de décider « quand » et « comment » on fait les choses mais surtout une autonomie décisionnelle (mais pas totale non plus pour ne citer que la pression financière).
– une multiplicité des tâches qui évite la monotonie
– le sentiment, dans une certaine mesure, de « maîtriser son destin »
– un statut social allant de pair avec une reconnaissance financière (en moyenne 3 fois le salaire d’un ouvrier une fois le cap des 2-3 premières années délicates passé)
Du côté « contraintes » (ou facteurs de risque) :
– une surcharge de travail importante avec trop peu de moments de récupération
– une surcharge mentale élevée (passage d’une tâche à l’autre, responsabilités,…)
– une pression d’enjeu importante : des conséquences souvent majeures en fonction de la prise de décision
– une incertitude face à l’avenir avec une dégradation du contexte économique et social
– la nécessité d’être polyvalent (compétence d’autant plus importante que l’entreprise est petite) : être dirigeant c’est être comptable, financier, RH, etc., sans y avoir été formé et sans avoir le temps de se former.
– des problèmes de gestion de personnel avec un fort enjeu émotionnel : les démissions sont vécues comme des trahisons, les licenciements vécus avec beaucoup de culpabilité,…
– une charge administrative et des obligations légales de plus en plus importantes
– une difficulté à séparer vie personnelle et vie professionnelle quand le conjoint travaille dans la même entreprise ou au contraire un refus de faire porter ses soucis par le conjoint accompagné d’une culpabilité de ne pas passer suffisamment de temps auprès de son conjoint et/ou de ses enfants.
– un manque de soutien social vécu parfois comme de la solitude, le dirigeant hésitant souvent à partager ses soucis que ce soit avec sa famille ou avec ses collaborateurs
– un manque de reconnaissance sociale, l’image du dirigeant étant souvent celle d’un « capitaliste qui exploite les travailleurs, sans empathie », ce qui induit le ressenti d’être « méprisé » par la société.
A ces facteurs de risque, il faut également ajouter, souvent, une mauvaise hygiène de vie : dette de sommeil, alimentation déséquilibrée (repas supprimés ou au contraire repas d’affaires), absence d’activité physique par manque de temps, manque de jours de repos. Ainsi, un dirigeant sur deux ne prend qu’une semaine par an et 89% continuent à travailler pendant leurs congés. Or, des études montrent que le risque d’épuisement professionnel est directement corrélé au nombre de jours de congés et au manque d’activité physique. Le risque de faire un épuisement (burnout) est d’environ 20%, soit près du double de la moyenne de la population.
Face à ces chiffres, il faut mettre en miroir un phénomène qui pourrait relever du déni ou de la méconnaissance de ses propres limites : 30 % des dirigeants ne vont pas chez le médecin (contre 21% pour les salariés) et seuls 8,2 % des indépendants déclarent des arrêts de travail (contre 20 % pour les salariés). Une phrase traditionnellement entendue est « je ne peux pas me permettre de m’arrêter »…pensée d’autant plus présente que l’on sera face à une personnalité de type « sois fort ».
Il ne faut pas perdre de vue non plus que le stress du dirigeant va impacter (plus ou moins directement) ses collaborateurs et les salariés, et donc dans un second temps les résultats financiers. L’impact sur l’entreprise sera d’autant plus important que l’entreprise est petite. Alors qu’à la mort de Steeve Job, Apple n’a perdu que 0,5 point en bourse, cela peut aller jusqu’au dépôt de bilan pour des petites entreprises dont le dirigeant est « défaillant ».
Ces différents éléments peuvent entrainer une spirale infernale pour aboutir aux 3D : dépression, dépôt de bilan, divorce, avec parfois comme conséquence « ultime », le suicide.
Comment agir ?
– au niveau individuel : il est important que les dirigeants apprennent à repérer les signes précurseurs du stress et de l’épuisement professionnel en suivant, au besoin, des formations spécifiques ou en consultant (médecin généraliste, psychologue, psychiatre, sophrologue, coach…).
Il peut être important également d’apprendre à déléguer à ses collaborateurs (et de travailler l’aspect « sois parfait » qui pousse à vouloir tout maîtriser).
Enfin, il ne faut pas oublier que le capital santé est le premier capital immatériel de son entreprise, et pour cela développer une bonne hygiène de vie :
- Maintenir une activité physique au rythme idéal de 3 fois 30 minutes par semaine
- Apprendre à respirer, à faire des « micro-relaxations »
- Attention aux déjeuners d’affaire : on a le droit de boire de l’eau même en Bourgogne!
- Gérer son sommeil en se mettant un objectif de 7 heures par nuit
- Avoir de vraies périodes de récupération : congés annuels et ponts « déconnectés » (à la fois mentalement mais aussi en se déconnectant des smartphones et autres technologies…)
– au niveau collectif :
- Oser sortir du mythe du « winner » : un dirigeant n’est pas infaillible pourtant 60% d’entre eux avouent « jouer à aller bien, à être de bonne humeur » …or, les études prouvent qu’exprimer une émotion que l’on ne ressent pas est très couteux en énergie.
- Développer la bienveillance : il est prouvé scientifiquement qu’être altruiste protège du stress. Dans ce sens, ne pas hésiter à développer mentorat, parrainage, etc.
- Retravailler le sens et l’utilité d’être entrepreneur : c’est aussi grâce aux dirigeants que des emplois se créent, que des familles vivent, que des collaborateurs s’épanouissent…
- Créer des liens entre dirigeants de PME via des réseaux de façon à ne pas être seul(e) pour prendre des décisions difficiles ou pour aborder des périodes douloureuses (citons, entre autres, le C.J.D. (Centre des Jeunes Dirigeants), l’A.P.M. (Association pour le Progrès du Management),…
- Mettre en place un suivi médical puisque, rappelons-le, pas de visite médicale obligatoire pour les chefs d’entreprise…dans cette optique, a été créé l’observatoire AMAROK dont le but est l’étude des croyances, des attitudes et des comportements des dirigeants de PME, artisans et commerçants à l’égard de la santé physique et mentale, que ce soit leur propre santé ou celles de leurs salariés.
- Permettre un suivi psychologique. On peut ainsi signaler un dispositif inédit de formation des professionnels de l’accompagnement des entreprises (ex : expert comptables,….) à la détection et au traitement des tendances suicidaires chez les chefs d’entreprise. Baptisé Apesa (pour “Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë”), ce concept, testé depuis 2013 au Tribunal de Commerce de Saintes, s’étend peu à peu en France. Lien site : http://myinfogreffe.fr/historique-aide-psychologique-dirigeants-entreprises/
Et si la santé des dirigeants était l’affaire de tous, puisque Les PME représentent 96 % des entreprises françaises, soit 2 emplois sur 3 ?