Le harcèlement moral est un sujet important à plusieurs titres :
- un nombre élevé de salariés concernés : 10% des salariés seraient victimes de harcèlement moral, soit environ 1 à 2 millions de victimes en France
- des conséquences au niveau individuel importantes voire dramatiques
- un coût élevé pour l’entreprise : des coûts directs liés à l’absentéisme et au turnover et des coûts indirects liés à la démotivation, à la diminution de la performance
..mais c’est également un sujet délicat :
- une difficulté à définir ou à prouver des comportements relevant du harcèlement moral
- un sujet médiatisé, utilisé parfois comme une « arme » contre son employeur.
Comment définir le harcèlement moral ?
Pour parler de harcèlement moral, selon le Code du Travail, il faut être en présence de comportements et /ou de paroles répondant aux quatre critères suivants :
- des agissements répétitifs
- ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail
- portant atteinte aux droits et à la dignité
- entrainant une altération de la santé physique et/ou mentale ou compromettant l’avenir professionnel
…notons que l’intentionnalité n’est pas nécessaire.
La difficulté va être de se baser sur des faits et non pas sur des impressions. H.Leyman a établi une liste de 45 agissements hostiles, regroupés depuis en 4 catégories par Marie-France Hirigoyen :
- atteinte aux conditions de travail (contrôler en permanence, priver de responsabilités, rétrograder, …)
- Isolement et refus de communication (mettre au placard, refuser de communiquer,…)
- Atteinte à la dignité (dénigrer la personnalité, humilier, discréditer,…)
- Violence verbale, physique ou sexuelle (insulter, intimider, alterner brimades et félicitations, accuser sans fondement,…)
Le harceleur encourt une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30000 € d’amende.
Dans environ un cas sur deux, le harcèlement est dit « vertical » (le plus souvent un supérieur hiérarchique qui exerce son autorité de manière autoritariste mais parfois aussi une équipe entière qui fait « bloc » contre son chef) … ceci signifie que dans l’autre moitié des cas, un ou plusieurs collègues sont impliqués (harcèlement horizontal, ou mixte si le supérieur hiérarchique est « complice »).
Comment se met en place un harcèlement moral ?
C’est un phénomène évolutif, qui cause des dégâts de plus en plus graves à des partenaires de plus en plus nombreux. Dans 64% des cas, la durée du harcèlement est supérieure à 1 an et la durée moyenne est de 21 mois !
Le harcèlement va donc, en général, s’installer progressivement :
- Lors des premiers comportements hostiles, la victime est « sidérée » et ne réagit pas ; toutefois elle ressent de la culpabilité (de ne pas avoir réagi, de ce qu’on a pu lui dire)
- La victime de harcèlement va avoir rapidement des répercussions sur le plan de la santé (problèmes de sommeil, anxiété, dépression,…). Quand la victime va se retrouver face à son harceleur, elle va développer des comportements « pathologiques », que pourra utiliser l’agresseur pour justifier aux yeux d’autrui ses comportements hostiles vis-à-vis de la victime (« vous voyez bien ce que je disais, on ne peut pas lui faire confiance »).
- Le processus de harcèlement finira par être cautionné par le reste du groupe ; on trouvera par exemple la victime « caractérielle » ou « hystérique », ce qui légitimera sa mise à l’écart. Ainsi, dans 60% des cas, le harcèlement a lieu sous les yeux de témoins qui ne réagissent pas (déni, crainte,…).
- La dernière phase est celle de l’exclusion : isolement, privation de moyens de communication mais aussi auto exclusion (absentéisme croissant voire invalidité).
Les conséquences pour la victime sont alors très lourdes (majoritairement troubles du sommeil, troubles anxieux et dépressifs) pouvant aller jusqu’aux idées suicidaires dans 10% des cas.
Les victimes consomment 4 fois plus d’anxiolytiques, 5 fois plus d’antidépresseurs et 9 fois plus de somnifères que la moyenne des salariés français…
Quelles sont les motivations d’un harceleur ?
L’agresseur a pu être « poussé » à commencer à harceler par souhait d’accroître la rentabilité, par perfectionnisme, par crainte de ne pas atteindre ses objectifs, par colère, par agressivité, par abus de pouvoir, par besoin d’écraser,….
Dans certains cas (mais finalement assez rarement), le harceleur peut aussi être un « pervers narcissique qui établit avec autrui des relations fondées sur les rapports de forces, la méfiance et la manipulation ».
Face à l’agresseur se trouve une « victime » qui peut être en situation de vulnérabilité (situation économique ou familiale particulière) ou, au contraire, qui a manifesté des compétences qui ont suscité la jalousie.
Le profil « type » de la victime est une femme (70% des cas), entre 46 et 50 ans, présentant une différence (en termes de personnalité, de loisirs, d’efficacité, d’opinions, physique,…) ou une vulnérabilité (difficulté à savoir dire non, attachement très fort à l’entreprise, précarité économique, signes montrant un manque de confiance en soi comme bredouiller, rougir, transpirer,…).
Comment savoir si je suis concerné(e) ?
La victime peut se poser 4 questions :
- Suis-je la seule personne concernée? Une réponse positive peut alerter ; en cas de réponse négative, ce sera plutôt un élément en faveur d’un patron hyperactif qui met la pression sur tout le monde
- Quelle est l’attitude de mon supérieur quand j’obtiens de bons résultats? Un harceleur est déstabilisé quand le collaborateur obtient de bons résultats; s’il s’agit d’un management par le stress, le supérieur hiérarchique sera content des bons résultats (ce qui, bien entendu, ne signifie pas pour autant que la situation soit facile à vivre)
- Les autres managers se comportent-ils de la même façon ? Si tous les managers agissent de la même façon, cela marque plutôt une culture d’entreprise, un style de management… voire un harcèlement institutionnel plutôt qu’un harcèlement individuel
- Comment se comporte la personne en dehors de sa vie professionnelle? Si vous avez accès à cette donnée, le fait qu’il ait le même comportement hors travail, marque sans doute plus une personnalité difficile qu’un harceleur
Comment réagir en tant que victime ?
- Noter les faits « anormaux »
- Ne pas parler de sa vie personnelle
- Préserver son équilibre (sommeil, alimentation,…)
- Exprimer ses émotions, développer un maximum de soutien social
- Apprendre à dire non (en passant, si nécessaire, par une formation d’affirmation de soi)
A l’intérieur de l’entreprise :
- En parler à des collègues ou à sa hiérarchie (selon le type de harcèlement)
- Demander un rendez-vous avec la DRH
- Demander conseil à un membre du CHSCT, à un représentant syndical
A l’extérieur de l’entreprise :
- Consulter le médecin du travail
- Consulter un psychologue
- Se tourner vers une association d’aide aux victimes (pour exemple, HMS : association harcèlement moral stop).
Si la situation ne se normalise pas, les étapes suivantes seront :
- Informer l’inspection du travail
- Demander une procédure de médiation
- Consulter un avocat pour porter plainte auprès du conseil des prud’hommes (précision : c’est à la victime d’apporter la preuve du harcèlement).
Il est important également de préciser le risque encouru à utiliser le harcèlement comme une « arme » envers son employeur : « la dénonciation (…) d’un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou judiciaires et que l’on sait totalement ou partiellement inexact (…) est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende » (article 226-10 du Code pénal). Notons que, dans ce cadre, il est possible (voire préférable) de déposer plainte contre X pour éviter les accusations calomnieuses.
Comment agir en tant que témoin ?
Un témoin n’est pas légalement contraint de témoigner sauf si :
- il est témoin d’une agression physique ou sexuelle
- il est confident d’un collègue harcelé qui tente de se suicider
Il y a alors non-assistance à personne en danger, avec une peine possible de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende.
En absence d’obligation légale, il n’en reste pas moins une obligation morale : un harceleur n’a aucune raison d’arrêter si on ne lui coupe pas la route.
Différentes possibilités s’offrent au témoin pour informer l’employeur :
- Via son supérieur hiérarchique
- De façon anonyme
- Via une association spécialisée
Un témoin peut également apporter du soutien à la victime en l’écoutant, en lui proposant une aide à l’extérieur si besoin, en la laissant exprimer ce qu’elle ressent (culpabilité, honte, sentiment d’injustice, tristesse, angoisse,…). Il peut également inciter la victime à (ré)agir.
Précisons qu’un salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi.
Comment prévenir le harcèlement dans l’entreprise ?
Rappelons que dans le cadre de l’ANI (accord national interprofessionnel) du 26 mars 2010, l’employeur doit prendre « toutes les mesures nécessaires en vue de prévenir et gérer les agissements de harcèlement et de violence au travail »
En termes de prévention primaire, il faut :
- Afficher une politique tolérance zéro à l’égard du harcèlement pour afficher clairement le désaccord, l’interdiction de ce type de conduite dans l’entreprise (règlement interne, procédure d’alerte, …). Le message à faire passer est que le harcèlement n’est pas acceptable, pas admissible et n’est pas non plus une méthode de management. Les supports peuvent être l’intranet, des posters,…
- Informer sur le harcèlement : Des campagnes de prévention vont permettre d’informer du processus de harcèlement, du type d’acte relevant du harcèlement ainsi que des risques en cas d’absence de réaction. Il est en effet indispensable que la victime réagisse dès la première attaque en stoppant immédiatement le harceleur.
- Avoir, en amont, une politique de recrutement qui prenne en compte les compétences relationnelles, les « savoirs être»
Quelques pistes supplémentaires dans l’entreprise pour agir en amont :
- Définir à chacun une mission et des objectifs précis ; avoir des fiches de postes bien définies et actualisées
- Former les salariés à l’affirmation de soi ou la communication non violente
- Mettre en place une procédure d’alerte de risques psychosociaux
- Former en interne des médiateurs
En termes de prévention secondaire, il conviendra surtout de former les managers à la communication managériale et à la gestion des conflits
de façon pour développer des compétences dans les domaines suivants :
- Améliorer sa communication
- Fixer des objectifs clairs
- Justifier ses critiques (…sur le comportement, jamais sur la personne)
- Déminer les conflits en amont
- Savoir s’excuser si besoin
- Différencier vie professionnelle et vie personnelle
En prévention tertiaire, c’est-à-dire devant une plainte pour harcèlement :
- Enquêter (…oser « y aller »)
- Proposer une médiation : le médiateur est choisi d’un commun accord entre les deux parties (il peut être interne à l’entreprise)
- Analyser les causes qui ont pu favoriser l’installation du harcèlement
- Mettre en place des outils de soutien en cas de harcèlement (consultation auprès du médecin du travail, ligne téléphonique, service de consultation d’experts externes, débriefing,…)
- Le retour au travail doit être préparé. Face à la crainte de réintégrer le lieu de travail, l’entreprise doit apporter des garanties en termes de gestion du conflit antérieur, de sécurité, de traitement des causes ayant pu générer le harcèlement.
On constate à quel point chacun peut avoir son rôle dans cette prévention, en tant que victime (en réagissant), en tant que témoin (en osant voir et en osant dire, même si le harceleur fait peur), en tant que supérieur hiérarchique (en ne cautionnant pas l’ironie, les conflits), en tant que DRH et d’employeur.