L’objectif d’une démarche de prévention des risques psychosociaux est de préserver la santé au travail, à savoir un état de bien-être physique, mental et social.
Les conditions minimales de réussite sont un engagement dans une démarche complète et durable, une volonté de la direction et la possibilité d’un dialogue social. Un autre élément-clé est la pluridisciplinarité, à savoir l’implication de nombreux acteurs de la prévention ; certains de ces acteurs nous paraissent évidents tels le service de santé au travail, les membres du CHSCT, les responsables QHSE, et d’autres peut être moins. Pourtant, parmi les acteurs de la prévention, il en est un essentiel, le manager de proximité, au point de trouver dans le rapport de Lachmann, en 2010 : « les managers de proximité sont les premiers acteurs de la santé ».
En quoi les managers sont-ils des acteurs-clés de la prévention des RPS ?
De façon générale, les managers ont un rôle majeur dans l’application des mesures de prévention des risques professionnels, qu’ils soient physiques ou psychosociaux. Ce rôle s’active pour faire appliquer les décisions (ex : port des équipements de protection, non tolérance de comportements hostiles,….) mais aussi pour organiser l’activité de leur unité de travail en accord avec les mesures de prévention. Le manager peut également formuler et défendre des demandes pour améliorer la santé psychologique de son équipe.
Deuxième niveau de prévention : être un relais, un « détecteur » d’un collaborateur en souffrance ainsi que des facteurs de RPS tels que la variation de la charge de travail, l’affectation de moyens limités, un raccourcissement des délais d’exécution…Il lui incombera alors d’alerter son supérieur hiérarchique, les ressources humaines ou les personnes impliquées dans le réseau d’alerte RPS, si ce dernier existe dans la structure.
Troisième niveau : Un manager peut accompagner un collaborateur au retour d’un congé maladie ou lors d’une situation difficile, ne serait-ce qu’en montrant de l’empathie. Combien de fois ai-je entendu des salariés me raconter : « Il ne m’a même pas demandé comment j’allais quand j’ai repris ». Il est évident que les managers ne sont pas formés à la prise en charge psychologique, pour autant, ils devraient avoir la certitude que cette simple question « comment vas-tu ? », même si elle ne va pas plus loin, est un signe fort pour le collaborateur, un signe de reconnaissance « minimal ».
Une autre évidence en termes de prévention est que le manager ne doit pas être lui-même source de tensions de par son comportement : il peut au contraire être régulateur de tensions en développant un climat de respect, de confiance et d’équité au sein de son équipe.
Quelles sont les compétences nécessaires pour être acteur de la prévention ?
Une étude anglaise de 2010 (HSE) a mis en exergue les aptitudes jugées nécessaires pour les managers en tant qu’acteur de la prévention : « être accessible », « avoir de la considération », « faire participer, développer l’autonomie ». Une autre compétence importante est « l’intelligence émotionnelle », soit la capacité à ressentir, comprendre et maîtriser ses propres émotions et les émotions des autres, qui se traduisait dans l’étude précédente par les termes « gérer les émotions », « être empathique ».
L’accent peut également être mis sur la nécessité de s’interroger sur son mode de management, sa capacité d’affirmation de soi, son exemplarité et, point essentiel selon moi, son « courage managérial » (vaste sujet qui mériterait un article en soi).
S’il fallait résumer deux points essentiels pour être un acteur « efficace » de la prévention se seraient ECOUTER et RECONNAÎTRE, en précisant que ceci est toujours possible indépendamment de l’environnement de travail. Un troisième point essentiel est l’autonomie : pouvoir décider quand ou comment on effectue sa mission, avoir le sentiment que son opinion est prise en compte …mais pour ce dernier point, il faut reconnaître qu’il est plus difficilement applicable dans tous les environnements et tous les métiers.
Le rôle de préventeur ne « va pas de soi » car le manager de proximité se retrouve souvent « entre le marteau et l’enclume » : « tout passe par eux mais tout ne vient pas d’eux ». Ainsi, le manager sera plus facilement cité comme « source de stress » que comme « acteur de la prévention » : une étude de 2006 estimait à 25% le poids du comportement du manager direct dans les causes du stress. Pourtant, quand l’ambiance dans l’équipe est jugée bonne, les travailleurs reconnaissent que cela leur permet de supporter le stress général.
Comment les managers peuvent-ils développer ces compétences?
Le rôle de préventeur a rarement été abordé dans les formations de management (… quand formation de management il y a eu….), donc pas de honte à avouer qu’on se sait pas faire et qu’on a besoin de développer des outils ou d’échanger.
Une première action est de suivre une formation de sensibilisation aux risques psychosociaux, que ce soit en amont d’une démarche de prévention, en tant que participant(e) à un groupe de travail ou à la suite d’un diagnostic RPS.
Par ailleurs, pour pouvoir appliquer ses différents rôles, il existe un prérequis : que le manager ne soit pas lui-même dans un état de stress extrême. Il est donc important qu’il connaisse son mode de fonctionnement professionnel, avec ses zones de confort et ses points de vigilance. Il convient également qu’il prenne soin de lui et qu’il sache écouter les signes indiquant qu’il dépasse ses limites (en termes de charge de travail, de conflits de valeur, de charge émotionnelle,…). Au besoin, il peut suivre une formation de développement personnel, de gestion du stress, voire être candidat à un coaching.
Un autre point essentiel est la possibilité de pouvoir échanger entre pairs ; or, l’augmentation importante des activités de reporting éloigne souvent le manager de son équipe ou de ses collègues.
Cette prise de recul sur sa pratique managériale peut se pratiquer au sein de l’entreprise de façon formelle en instituant des séances « échange de la pratique » ou de façon informelle (pour exemple, une salle est mise à disposition tous les jeudis midi et les managers qui le souhaitent se retrouvent autour d’un plateau repas pour échanger sur leurs expériences, leurs questions, façon « intervision »).
Une autre façon intéressante de permettre l’échange de pratique est de le faire hors de son entreprise. Ainsi, GERME (pour Groupe d’Entraînement et de Réflexion au Management des Entreprises) répond à ce besoin en affichant les objectifs de « partager ses expériences, donner du sens à sa fonction, développer l’homme et l’entreprise ».
Les participants du groupe GERME (environ 1500 managers actuellement répartis sur une centaine de groupes en France) se retrouvent environ 1 journée par mois autour de valeurs fortes de bienveillance, d’humilité et de respect. Les axes de travail (sous forme de formation ou d’échange de la pratique) concernent le manager lui-même, le manager et son équipe et sa hiérarchie, le manager et son environnement ce qui lui permet de couvrir l’ensemble des problématiques qu’il peut rencontrer dans l’exercice de sa fonction.
J’ai eu la chance d’assister à l’une de ces journées avec le groupe de Beaune (l’un des quatre groupes actifs en Bourgogne) et je vous confirme que ces journées sont vécues à la fois comme « bouffées d’oxygène » (prise de recul sur son activité et sa pratique) et comme source d’enrichissement professionnel… Ce sont les participants eux-mêmes qui déterminent les sujets qu’ils souhaitent aborder « l’offre et abondante mais rien n’est imposé ».
Petit détail qui a son importance : en début de séance, tous les portables sont mis dans un coin de la salle en mode silencieux… Et si c’était une habitude à prendre pour toutes les réunions ?
Vers une culture de la prévention managériale
Une évolution de la culture est à souhaiter avec plus d’autonomie pour les managers et la possibilité de faire remonter les difficultés de leurs équipes. Faire remonter des problèmes relationnels au sein d’une équipe est encore trop souvent vécu comme un « échec managérial ». Or, taire ces difficultés revient à les laisser se dégrader, avec le risque d’avoir une situation explosive avec des possibilités d’intervention réduites après plusieurs années. Le « bon » manager n’est pas celui qui n’a pas de conflit dans son équipe mais c’est celui qui les détecte, a la capacité de les mettre à jour puis de les faire remonter pour une recherche de solutions s’il ne peut les gérer seul.
De la même façon, la possibilité de faire remonter des initiatives de ses équipes, de développer l’autonomie de ses collaborateurs pourraient être des critères d’évaluation lors des entretiens annuels d’évaluation.
Si le manager ne peut à lui seul prévenir les risques psychosociaux, il peut et doit jouer un rôle majeur.
Pour plus d’informations sur les groupes GERME en Bourgogne : thierry.dufour@parteco.fr.